Pour bon nombre d’entreprises, la présence dans des espaces de coworking, comme la pratique du corpoworking, n’ont pas qu’un côté pratique. C’est aussi le moyen de se familiariser à l’Open innovation(1).
C’est dans un ancien siège d’Areva devenu espace de coworking que Thalès a décidé dès 2017 de placer sa Digital Factory, une plateforme numérique de services industriels.
Étonnant ? Pas tant que cela, de plus en plus d’entreprises cherchent aujourd’hui à connecter leurs activités de recherche à des écosystèmes dynamiques. Cette entité stratégique pour le groupe est chargée de renforcer ses positions dans la connectivité, le big data, l’IA et la cybersécurité. Des interactions avec des acteurs extérieurs qui peuvent se révéler déterminantes…
Se domicilier dans des espaces de travail partagés peut-être un moyen d’éviter de lourds investissements immobiliers pour une entreprise. Mais si un industriel comme Thalès investit 150 millions d’euros sur 3 ans dans ce lieu, c’est également pour rassembler autour de lui une large variété d’expertises, internes et externes.
Grâce à cette nouvelle génération de travailleurs sans bureau fixe, comme le sociologue Bruno Marzloff les a renommés(2), les entreprises bénéficient ainsi de contacts directs avec d’autres professionnels (entreprises ou indépendants) proches de leur domaine d’activité.
Pierre Mainger, rédacteur en chef du media Biotechmag, installé dans un espace de coworking tourné vers les biotechs à Boulogne-Billancourt, raconte : « Nous nous sommes tournés vers cette option pour l’émulation intellectuelle avec des entreprises évoluant dans le domaine qui nous intéresse. Chaque jour, nous déjeunons avec d’autres coworkers. L’organisation d’événements et de conférences auxquels nous participons – y compris celles que nous organisons – nous permettent également d’échanger, de partager et de co-construire. »
Les espaces de coworking présentent une configuration essentielle à l’innovation d’aujourd’hui : ils facilitent les échanges d’idées, ils offrent de nouvelles recherches collectives de solutions et génèrent un capital social positif grâce à un climat de confiance, d’entraide et de communauté.
Les entreprises peuvent enrichir leur offre en s’appuyant sur de nouveaux partenaires, parfois hors de leur champ d’origine, dans les technologies, l’analyse, le graphisme… La proximité avec des entrepreneurs innovants engage aussi à expérimenter de nouvelles méthodes de travail et à rechercher l’efficacité.
« Le coworking permet par exemple d’éviter le syndrome de la réunionnite. Le nombre de salles de réunion est limité et il faut les réserver. Cela nous force à en faire moins et surtout à être plus concis », ajoute Pierre Mainger qui loue également la responsabilisation et autonomie des équipes. « Le télétravail est couplé à la présence dans cet espace qui casse les codes ».
L’idée à l’origine était de permettre aux travailleurs indépendants de ne pas rester isolés chez eux et de pouvoir trouver un lieu de socialisation comparable à celui d’une entreprise. Mais depuis la première ouverture d’un espace de coworking officiel à San Francisco en 2005, la formule a beaucoup évolué et convainc toujours plus d’entreprises.
Aujourd’hui, la coopération et la créativité qui y règnent en font plus qu’un espace de travail mais plutôt un lieu intermédiaire de l’innovation ouverte.
Les caractéristiques ?
Une mise en relation des personnes et des entreprises en coprésence, un recours à des outils de communication simples et directs (pas seulement numériques mais aussi d’affichage, d’interpellation physique…), un choix innovant d’organisation de l’espace et de placement des membres (lieu de convivialité, salle de réunion au mobilier innovant…), une organisation de formations, d’événementiels (cycles de conférences débats, ateliers participatifs…) ; enfin, les actions engagées par les gestionnaires de l’espace de coworking pour stimuler les interactions peuvent jouer un rôle déterminant. Tout dépend de leur niveau de connaissance du domaine d’innovation visé et de leur aptitude à connecter les équipes et même à initier des contacts avec l’extérieur.
L’espace peut aussi être semi-ouvert pour accueillir des entreprises en partenariat. Par exemple, Beeotop (6 500 m² à Clichy) créé par Generali vise à accueillir « l’entreprenariat d’avenir », c’est-à-dire des entreprises liées à l’engagement sociétal (Action contre la Faim, Alter’Services, l’ObsAR, PikPikEnvironnement, Repar’Tout, Youphil…etc.).
Les entreprises sont pour la plupart convaincues de la nécessité d’innover avec leurs fournisseurs, leurs clients, et même leurs concurrents ; mais elles ne savent pas toujours comment s’y prendre.
Un espace de coworking peut servir d’interface entre les entreprises hébergées en instaurant des relations de confiance entre les acteurs, en facilitant la circulation des ressources et des connaissances à l’intérieur et à l’extérieur du groupe de coworkers, et même en animant le groupe.
Les frontières s’estompent entre les différentes catégories de lieux créatifs (espaces de coworking, Fab Labs, Hacklabs, Living Labs…) : les Fab Labs peuvent comprendre des espaces de coworking par exemple, et inversement.
Des associations particulièrement intéressantes pour les PME et jeunes pousses qui n’ont pas des budgets R&D illimités. Et pour les grands groupes aussi : Thalès compte bien ne pas laisser passer la révolution des data grâce à ce genre de lieu…
Walter
(1) Innovation ouverte
(2) En référence au livre de Bruno Marzloff, « Sans bureau fixe : transitions du travail, transitions des mobilités », novembre 2013